Un roi aimait se promener incognito de temps à autre, afin de rencontrer les plus modestes parmi ses sujets, d’échanger librement avec eux et de découvrir leurs réelles conditions de vie. Il pouvait ainsi connaître l’opinion du peuple au sujet des lois qu’il promulguait ou avoir son avis sur les réformes qu’il envisageait d’entreprendre.

Il faisait beau ce jour-là. Le monarque sillonnait la campagne à cheval, sans escorte et vêtu de vêtements modestes, quand il aperçut un paysan dans un champ. Celui-ci labourait avec une vieille charrue tirée par un boeuf. Le roi fit halte et s’installa pour déjeuner à l’ombre de l’arbre se trouvant en bordure du champ. Après avoir terminé son sillon, le paysan libéra le boeuf de son joug et l’attacha près d’un tas de paille pour qu’il reprît des forces. Comme il n’y avait pas d’autre arbre dans les parages, il vint s’installer près du monarque qui ne tarda pas à engager la conversation.

– C’est un rude travail que le vôtre, dit-il. Vous n’avez pas l’air de ménager votre peine.

– Effectivement, je travaille durement six jours sur sept pour pouvoir nourrir les miens.

– Et cette terre vous appartient?

– Certes non ! Je ne suis malheureusement qu’un journalier qui trime du lever au coucher du soleil.

– Et combien vous paie-t-on par jour?

– Huit patacs.

– Peste ! Huit patacs seulement. S’ils vous tombent sur le pied, ils ne vous feront pas grand mal. Et comment parvenez-vous à joindre les deux bouts avec si peu?

– Oh ! Je n’ai aucun mal. Et je vous assure que mes huit patacs me permettent d’aller très loin.

– Pardonnez-moi, mais je suis un peu surpris.

– C’est pourtant vrai. Comptez donc avec moi : deux que je mange, deux que je dois, deux que je prête et deux que je donne, cela fait bien huit patacs.

– Effectivement. Mais ce que vous venez de me dire demeure pour moi une énigme.

– C’est pourtant simple, je vais vous expliquer : avec ma première paire de patacs, je nous nourris ma femme et moi ; avec la suivante, je fais manger mes parents ; avec la troisième, je nourris mes deux enfants ; enfin, avec la quatrième, j’aide ma pauvre voisine qui est veuce et élève 6 enfants.

– Je vous félicite sincèrement. Et puisque vous semblez aimer les énigmes, je voudrais vous en proposer une. Il ne vous est jamais arrivé de me rencontrer avant aujourd’hui, n’est-ce pas?

– Jamais.

– Eh bien ! dans un instant, vous pourrez dire que vous m’avez vu cinquante fois et qu’à chaque fois vous m’avez caché au plus profond de votre poche.

– Seriez-vous en train de vous moquer de moi?

– Loin de moi cette idée ! Réfléchissez et essayez de deviner comment je vais m’y prendre pour que vous me voyiez cinquante fois.

– Je ne sais pas vraiment.

– Vous donnez donc votre langue au chat !

– J’y suis bien contraint.

Le roi prit dans son sac une bourse, y puisa cinquante pièces d’or à son effigie et les tendit au laboureur éberlué.

– Prenez-les, elles sont à vous, lui dit-il. je suis le caissier du Bon Dieu.

Et avant que le paysan eût le temps de réagir, il avait enfourché sa monture et s’était éloigné.

Share This

Share this post with your friends!