Il était une fois un petit aiglon magnifique. Il débutait sa vie dans un émerveillement quotidien, et chaque jour, ses plumes se teintaient d’une multitude de couleurs. On l’appelait l’aigle aux couleurs arc-en-ciel.

Un jour, la foudre tomba sur le nid, et toute sa famille périt, à part lui. Il était seul, livré à une mort certaine sans ses parents pour le nourrir et le protéger.

Un homme vint à passer par là, et vit cet aiglon aux couleurs éblouissantes. Son cœur se serra devant tant de beauté. Il le prit délicatement dans ses bras, l’emmena chez lui, le nourrit et le soigna. Il y avait une belle complicité entre ces deux-là, beaucoup d’amour. Mais un jour, l’aiglon eut besoin et envie de déplier ses ailes et d’apprendre à voler. Et l’homme avait peur de le perdre. Alors, il força les ailes de l’oiseau à se replier et l’enferma à double tour dans une cage.

L’aigle commença à dépérir.

L’homme, ne voulant pas qu’il meure, lui ouvrit  la porte de la cage, en lui accrochant un fil à la patte, pour être sûr qu’il reviendrait. Le petit aigle s’envola et fit le tour de son nouveau territoire. Il respira, plana dans les airs, et lorsqu’il revint, ses plumes étaient plus brillantes, plus belles que jamais. Il avait hâte de retrouver son bienfaiteur et de partager avec lui toutes les découvertes qu’il avait faites, les belles rencontres, et la joie qui habitait son cœur. Mais plus son bonheur était grand, plus l’homme se renfermait dans son obscurité : colère, tristesse, jalousie et possessivité ne laissaient pas de place à la joie. Il ne parvenait pas à accepter que son ami puisse s’épanouir autrement qu’à travers lui. Il fallait qu’il lui appartienne, qu’il lui donne l’amour qu’il ne parvenait pas à se donner à lui-même. Et l’idée qu’il puisse donner de son amour, de son temps, de son attention à d’autres choses et êtres que lui, lui était insupportable.

Devant tant d’irascibilité, le petit aiglon finit par arrêter de partager ce qu’il était. Ils vivaient côte à côte, et la distance qui les séparait se creusait de jour en jour. A chaque fois qu’il revenait avec des ailes un peu trop brillantes, l’homme se mettait en colère, lui parlait mal, agressif, le dévalorisait, et le menaçait de ne plus lui donner à manger.

L’aigle finit par se sentir coupable d’être un aigle, et ses plumes devinrent grises et atrophiées. Il savait qu’il pouvait se libérer de la corde d’un coup de bec, mais il ne le faisait pas, par habitude, par peur de l’inconnu, peur de ne plus avoir à manger, et par peur de faire du mal à son ami.

Et puis un jour, le petit aigle devint grand. Il prit conscience qu’il ne pourrait jamais combler les besoins de son ami, et qu’il relevait de sa responsabilité de ne pas laisser celui-ci lui faire du mal. Il prit sa peur, la regarda bien en face, se laissa traverser par elle, et décida tout au fond de lui qu’elle ne gouvernerait pas sa vie. Alors, prêt pour le grand saut, il rompit la corde d’un coup de bec.

Il s’envola, partit faire le tour du monde. Lorsque toute la colère qu’il avait en lui, liée au mal que lui avait fait son ami, s’en fut allée, ses plumes retrouvèrent leurs belles couleurs arc-en-ciel, et un jour, apaisé, le cœur ouvert, il revint vers son ami, en se tenant suffisamment loin cependant pour ne pas qu’il puisse l’enfermer à nouveau. Il lui dit la joie qu’il avait de le revoir, les chemins qu’il avait parcourus, le pardon qu’il avait accordé.

Son ami le regarda, avec des reproches au fond des yeux. « Tu m’as fait souffrir, tu m’as abandonné, tu m’as trahi, moi qui t’ai sauvé la vie, qui t’ai nourri, qui croyais en toi ».

L’aigle arc-en-ciel le regarda de son regard profond et lui dit : « Personne n’appartient à personne. Il y a deux manières de vivre la vie. Soit dans la Peur, soir dans l’Amour. Tu ne peux pas forcer les êtres à t’aimer en les enfermant ou en les manipulant par la peur. Ceux qui t’apprécient viendront et reviendront vers toi,  parce qu’ils en ont envie, pas parce qu’ils en ont besoin. Et plus tu t’aimeras, plus tu seras aimé. »

Puis il s’envola.

Un mois plus tard, il revint, accompagné d’une belle aiglette aux plumes couleur de lune et d’un petit aiglon aux plumes couleur de soleil.

L’aigle aux couleurs arc-en-ciel dit à l’homme : « je te présente ma famille ».

Et pour la première fois depuis le jour où il avait trouvé l’aiglon, où il l’avait aimé sans attentes, non pas pour ce qu’il pouvait lui apporter, mais pour ce qu’il était et pour la beauté qui émanait de lui, l’homme ne chercha pas à posséder, à contrôler, et retrouva ce sentiment d’Amour inconditionnel qui l’avait alors traversé. Il regardait son ami et sa famille, et éprouvait une grande joie de le voir heureux, de voir comme il était devenu beau, comme ses plumes brillaient de mille couleurs, et le partage de ce moment généra en lui un sentiment profond de gratitude et de paix.  Il comprit que ce qui l’avait séparé de son ami, ce n’était pas les chemins, aussi variés, aussi nombreux, aussi éloignés soient-ils, que celui-ci avait choisi d’emprunter, mais ses propres peurs et le manque d’amour et d’estime qu’il avait pour lui-même.

Un pont de lumière s’étendit alors de l’oiseau jusqu’à l’homme, et depuis ce jour-là, à chaque fois que la paix triomphe de la guerre, que l’Amour triomphe de la peur dans le cœur d’un Homme, un arc-en-ciel se manifeste et se déploie dans le ciel.

Pauline Dumail 

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