« Consuelo revit sous un autre aspect les superbes fleurs et les fruits qu’elle avait admirés au clair de lune. L’haleine du matin et la coloration oblique du soleil rose et riant donnaient une poésie nouvelle à ces belles productions de la terre. Une robe de satin velouté entourait les fruits, la rosée se suspendait en perles de cristal à toutes les branches, et les gazons glacés d’argent exhalaient cette légère vapeur qui semble le souffle aspirateur de la terre s’efforçant de rejoindre le ciel et de s’unir à lui dans une subtile effusion d’amour. Mais rien n’égalait la fraîcheur et la beauté des fleurs encore toutes chargées de l’humidité de la nuit, à cette heure mystérieuse de l’aube où elles s’entrouvrent comme pour découvrir des trésors de pureté et répandre des recherches de parfums que le plus matinal et le plus pur des rayons du soleil est seul digne d’entrevoir et de posséder un instant. Les 50 espèces de roses, les rares et charmants hibiscus, les sauges purpurines, les géraniums variés à l’infini, les daturas embaumées, profondes coupes d’opales imprégnées d’ambroisie des Dieux, les élégantes asclépiades, poison subtil où l’insecte trouve la mort dans la volupté, les splendides cactées, étalant leurs éclatantes rosaces sur des tiges rugueuses bizarrement agencées ; mille plantes curieuses et superbes que Consuelo n’avait jamais vues, et dont elle ne savait ni les noms ni la patrie, occupèrent son attention pendant longtemps.
Il y avait longtemps que l’harmonie des sons lui avait semblé répondre d’une certaine manière à l’harmonie des couleurs ; mais l’harmonie de ces harmonies, il lui sembla que c’était le parfum. En cet instant, plongée dans une vague et douce rêverie, elle s’imaginait entendre une voix sortir de chacune de ces corolles charmantes, et lui raconter les mystères de la poésie dans une langue jusqu’alors inconnue pour elle. La rose lui disait ses ardentes amours, le lys sa chasteté céleste ; le magnolia superbe l’entretenait des pures jouissances d’une sainte fierté, et la mignonne hépatique lui racontait tout bas les délices de la vie simple et cachée. Certaines fleurs avaient de fortes voix qui disaient d’un accent large et puissant : « je suis belle et je règne ». D’autres, qui murmuraient avec des sons à peine saisissables, mais d’une douceur infinie et d’un charme pénétrant : « je suis petite et je suis aimée », disaient-elles, et toutes ensemble se balançaient en mesure au vent du matin, unissant leurs voix dans un chœur aérien qui se perdait peu à peu dans les herbes émues, et sous les feuillages avides d’en recueillir le sens mystérieux ».

George Sand, Consuelo

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